PORTRAIT CROISE : Mariama Ba et Mame Younousse
Dieng
Leurs plumes
ont charmé plus d’un par la pertinence des thèmes développés .Mariama Ba et
Mame Younousse Dieng, deux figures emblématiques de la littérature sénégalaise
aux styles différents avec une préoccupation commune l’amélioration des
conditions féminines. Grace au livre « invention merveilleuse de
l’astucieuse intelligence humaine .Signes divers , associés en sons , sons
différents qui moulent le mot .Agencement de mots d’où jaillit l’idée , la
pensée , l’histoire , la science et la vie .Instrument unique de relation et
culture , moyen inégalé de donner et de recevoir » , elles ont pu analyser
la société sénégalaise de sorte que leurs œuvres peuvent servir de miroir.
Elles sont nées dans des lieux différents, à des
époques différentes, ces deux monuments des littératures aux plumes d’or ont
longtemps joué sur le sentiment des
infatigables « dévoreurs » de livres .Par un génie créateur et un
verbe tantôt ironique, tantôt comique, elles ont séduit, capté et marqué à
jamais tant de générations qui aiment flirter les pages.
L’une Mariama Ba est née en 1929, elle a été élevée
par ses grands-parents dans un milieu musulman traditionnel.
Son père, Amadou Bâ, est devenu ministre de
la Santé du premier gouvernement
sénégalais en 1957. En 1939, soit 10 ans après la naissance de Mariama
Ba, Mame Younousse Dieng naquit dans la ville sainte de Tivaouane .Après avoir
fréquenté l’école coranique et l’école française, ces deux dames deviennent des
institutrices, des éducatrices par amour pour l’éducation et les lettres.
Mariama Bâ et Mame Younousse Dieng ont milité dans
beaucoup d’associations féminines en propageant l’éducation et les droits des
femmes.
En 1979, Mariama Ba publie son premier roman aux Nouvelles éditions africaines, Une
si longue lettre, dans lequel Ramatoulaye fait le point sur sa vie passée
sous forme épistolaire, à l'occasion de la mort de son mari, abordant
l'ambition féministe africaine naissante face aux traditions sociales et
religieuses. Dès sa sortie, il connaît un grand succès tant critique que
public, et obtient le Prix Noma lors de la Foire du livre de Francfort en 1980.En 1992 , 13 ans après la publication d’une si
longue lettre , Mame Younousse Dieng publie son premier roman intitulé l’ombre en feu , œuvre dans laquelle
elle évoque l’amour , l’éducation des enfants , les castes au Sénégal..
Mariama Ba
meurt en 1981 d’un cancer avant la sortie de son deuxième roman, Un chant écarlate, racontant
l'échec d'un mariage mixte entre un Sénégalais et une Française, du fait de
l'égoïsme de l'époux et des différences culturelles.
Primordialement, leurs œuvres reflètent les conditions
sociales de leur entourage immédiat et de l’Afrique en général, ainsi que les problèmes, qui en résultent,
tels que polygamie, castes, exploitation des
femmes , l’opposition de la famille, manque de capacité de
s’adapter au nouveau milieu culturel face à des mariages interraciaux. La
particularité de Mame Younousse Dieng, c’est son roman en wolof « Awo
bi », publié en 1992 à Dakar ainsi que
des poèmes et des traductions, par exemple, l’hymne national qu’elle a
traduite en 1961. Elle s’en est allée le vendredi 1er avril 2016 à son domicile
à Dakar après avoir dévoilé son style et ses sources d’inspiration « Je voudrais que mes héroïnes soient à
l’image de la femme noire, africaine en général, sénégalaise en particulier,
qu’elles représentent pleinement la Sénégalaise du 20e siècle pour transmettre
à la postérité des modèles de femmes positives, courageuses, respectables qui,
sans se donner en spectacle, triomphent de la méchanceté, de la bêtise, de
l’adversité insensée », avait -elle confié dans un
entretien. L’une a vécu 52 ans, l’autre 77 ans. Elles ont toutes les
publié deux œuvres qui ont fini de les installer à jamais dans les cœurs des
lecteurs
Ces deux femmes de lettre racontées par
Alioune Badara Bèye
« Le
président de l’association des écrivains du Sénégal analyse les styles et
comportements de ces deux monuments de la littérature africaine : « J’ai
eu l’occasion de les connaitre toutes les deux, j’ai connu Mariama Ba vraiment
au début des années 70 avec les nouvelles éditions africaines pour son premier
roman une si longue lettre. Sur le plan de l’écriture il y a même des
similitudes entre Mariama et Mame Younousse, parce que dans chacune de leurs
œuvres il y a une dose de langue nationale, elles parlent d’épouse, de la
famille, donc de la condition féminine. Pour Mame Younousse c’est la première
romancière à écrire un roman entier en wolof. Donc cela est une différence
entre les deux. Mais sur le plan de la thématique elles se rapprochent en
général dans les thèmes de la condition féminine et à ce niveau je pense que ce
sont des enseignantes qui maitrisent parfaitement la langue française. Mais
quand même en lisant Mariama Ba on sent sur le plan culturel qu’elle est très
enracinée, non seulement sur les conditions de vie, mais elle est également
enracinée sur les difficultés de ces conditions. Maintenant il faut avouer
qu’avec Mame Younouse, elle est brillante, mais ces œuvres ne sont pas
inscrites dans le programme. Par contre elle aimait voir comment la femme
sénégalaise vit dans la société etc. Donc les contraintes de la femme, ça je
pense que en lisant ces deux femmes on se rend compte qu’un combat a été mené
pendant longtemps de par leurs écritures et par leurs thèmes.
Sur le plan de leur
personnalité
Mame
Younousse était une personnalité très forte, elle était plus dure que Mariama
Ba sur le plan de la réflexion. Mame Younousse quand elle n’était pas d’accord
sur quelque chose, toute de suite vraiment elle vous le dit carrément sans
nuance, mais avec beaucoup de politesse. Par contre Mariama Ba, sur le plan de
la pédagogie elle était très souple et cela se sent dans les écritures
d’ailleurs, le roman de Mariama Ba, c’est une ouverture d’écriture. Et on sent
une certaine élasticité, parfois même légèreté dans ses écrits parce qu’elle
était très sentimentale. Par contre quand on lit « Awo bi » avec Mame
Younousse, elle est plus ferme sur beaucoup de position, mais cela n’empêche
que leur combat se rencontre dans la quête du mieux-être de la femme sénégalaise. »
Le sort de la femme, un combat commun
Elles sont des femmes
intègres qui ont mis leurs plumes au service de la cause féminine durant toute
leur vie. Qui ne se rappelle pas de cette fameuse déclaration de Mariama
Ba ? « Si être féministe c’est
défendre les intérêts de la femme alors je suis féministe » .Dans les
années qui ont suivi l’indépendance de notre pays, les femmes n’étaient pas
aussi nombreuses dans les partis politiques ou n’occupaient pas des postes de
responsabilité. Ce que Mariama Ba a dénoncé dans une si longue lettre aux pages
118 et 119 : « presque
vingt ans d’indépendance .A quand la première femme ministre associée aux
décisions qui orientent le devenir de notre de notre pays ? Et cependant
le militantisme et la capacité des femmes , leur engagement désintéressé ne
sont plus à démontrer .La femme a hissé plus d’un homme au pouvoir .La femme ne
doit pas être l’accessoire qui orne , l’objet que l’on déplace , la compagne
qu’on flatte ou calme avec des promesses , elle est la racine première ,
fondamentale de la nation , où se greffe tout apport , d’où part aussi la
floraison .Il faut inciter la femme à s’intéresser davantage au sort de son
pays. » Mame Younousse Dieng est dans la même logique que l’auteur
d’une si longue lettre sur cette question comme l’attestent ses propos :
« Si c’est réclamer les
droits de la Femme sur le plan social, professionnel et religieux, le
respect réciproque tout en étant soumise à un mari raisonnable, responsable et
respectable, je suis féministe. Je n’ai jamais réclamé l’égalité entre homme et
femme car, quelque part, je me sens supérieure à l’homme en ce sens que lui,
est incapable d’enfanter, or c’est le plus grand rôle qu’un être
humain puisse jouer sur terre. Je suis l’alliée de Dieu pour la continuité des
espèces. « Na ndey di ndey, baay
di baay, gune di doom ». « J’applaudis à la vaillante lutte de mes
sœurs pour l’émancipation de la Femme. Mais attention à la parité pour la
parité. Mettons et maintenons les filles à l’école, encadrons les femmes
adultes pour avoir assez de femmes aptes aux postes de responsabilité. Il se
peut même qu’un jour il y ait plus de femmes cadres que d’hommes cadres.
Ne prêtons pas le flanc devant l’Histoire, en occupant des postes de
responsabilité sans en avoir la compétence requise. »